"Ta proposition théâtrale n'a aucune intelligence"

Je partage ci-dessous l'extrait d'un email que m'a envoyé un élève quelques jours après la lecture de scènes de Musée haut, musée bas de Jean-Michel Ribes. Cette lecture faisait suite à un premier cycle de 10 ateliers adultes (niveau débutant) en vue d'un premier travail d'interprétation et de mise en scène sur des textes.

Si la proposition artistique que j'ai faite à mes élèves lors de cet atelier n'était pas très originale (Jean-Michel Ribes est une porte d'entrée très fréquente dans les cours de théâtre amateur), elle avait plusieurs intérêts pédagogiques que je ne développerai pas ici.

Cet échange me semble néanmoins digne d'intérêt du fait de l'écho que cette lecture a eu chez cet élève.

Je le remercie pour la sincérité de son message, même si sur la forme comme sur le fond, il témoigne, au mieux, d'une maladresse et d'une incompréhension du texte, au pire, d'une arrogance et d'un problème d'amour propre indépendant de mon enseignement.

En tant que mauvais prof, il est bon de se rappeler que les élèves que nous avons en face apportent avec eux leur personnalité, leurs espérances, leurs souffrances, la perception qu'ils ont d'eux-même et l'image qu'ils aimeraient projeter aux yeux des autres. Le rôle d'un mauvais prof est de toujours rester dans une attitude d'écoute et de compréhension, ... dans la limite du respect mutuel que l'on est en droit d'attendre de n'importe quelle interaction.

Email de l'élève (janvier 2024)

J'ai pris du recul vis à vis de ta proposition de saynètes issues de l'oeuvre de Ribes. Pour moi, le théâtre doit permettre de faire réfléchir et non pas rabaisser les gens. Ce qui me gène profondément dans ta proposition théâtrale, c'est qu'il n'y a aucune intelligence. Il se permet de critiquer des gens qui, comme moi, n'avons pas eu accès à la culture ! Il fait un fourre tout d'idéologie culturelle et politique sans arguments.

En tant que prof, tu es responsable et porteur d'idées politiques. Que tu le veuilles ou non! Je te demande de réfléchir à quel est le message universel que transmets Ribes dans son écrit. Le second degré doit interpeller, pas juste se moquer.

Ce n'est pas une critique de ma part te concernant parce que je pense que tu es très bon. Je te demande juste de réfléchir aux textes que tu proposes.

Tu peux parfaitement réagir à ce que je viens d'écrire. Je l'écouterai.

La réponse du mauvais prof (janvier 2024)

C'est dommage de considérer que le texte de Ribes rabaisse et est sans intelligence. Il s'agit d'une satire sociale. Le propre de la satire, qui est une vieille tradition française (théâtre, caricatures, ...), est justement de se moquer (du peuple, du roi, de la religion, des politiciens, des riches, des pauvres, ...). Ribes n'est pas Molière mais il s'inscrit dans cette longue et précieuse tradition.

Il est réducteur de dire que Ribes ne se moque que des gens ordinaires. Dans le monologue du conservateur que je vous ai aussi fait lire (à dessein), il tourne en ridicule une autre frange de la société, celle des intellectuels enfermés dans leurs appréciations et leurs convictions artificielles au point d'interdire dans le musée tout élément naturel (comme la plante verte) et à renier la nature.

On aime ou on n'aime pas, ça c'est propre à chacun et les premières lectures que l'on fait permettent d'en discuter ensemble.

Et enfin, il ne faut pas s'arrêter au texte. Au théâtre, une grande part du sens vient aussi des choix du metteur en scène et l'interprétation des comédiens. Le même texte peut prendre un sens bien différent selon celui qui le dit, la manière dont il le dit et celui qui l'entend. Le tavail que l'on fait actuellement en atelier met cela en lumière (nous faisons 2 mises en scène pour une même saynète et c'est l'occasion d'expliquer aux élèves comment un même texte peut être interprété différemment).

Je te prie de croire qu'en tant que comédien, prof de théâtre, lecteur et citoyen averti, c'est en toute conscience, en toute liberté et en toute intelligence que je choisis les textes que je propose à mes élèves (enfants, ados, adultes).